La Madawaka Corporation, propriété d’Édouard Lacroix (1889-1963), s’installe à Carleton au cours de l’année 1928. Il construit une usine de sciage, des moulins, un convoyeur et plusieurs autres installations, servant à la flottaison du bois sur le barachois* ainsi qu’à sa transformation. « La capacité de production de ce dernier est phénoménale. Les installations de Lacroix peuvent couper 150 000 pieds de bois en dix heures, la production d’un moulin artisanal en une saison1. » Les arbres arrivent des comtés de Matapédia et de Bonaventure en circulant sur les rivières environnantes.
Au fil des ans, la compagnie se développe, connaît une vague de modernisation, fait des acquisitions, réoriente ses activités et va jusqu’à changer de nom. Le frère d’Édouard, Charles Lacroix, contribue à la gestion des opérations puis André Lacroix, fils d’Édouard, prend les rênes en 1943. Il s’y investira jusqu’en 1986 lorsqu’il décède, après quoi l’entreprise cessera toute activité.
Si nous en venons au surnom de la Ligne-à-Lacroix, certes nous reconnaissons le patronyme de l’entrepreneur, mais qu’en est-il de cette ligne? Il s’agit d’une voie ferrée privée liant ses principaux bâtiments au circuit du chemin de fer de la baie des Chaleurs. Aujourd’hui, ces rails n’existent plus, mais ladite ligne demeure vierge de tout arbre, car elle accueille une piste de « quatre-roues ». Par transposition, certains citoyens appellent le chemin ainsi formé la Ligne-à-Lacroix.
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LEXIQUE
* Barachois : « Un barachois est une étendue d’eau peu profonde située généralement à l’embouchure d’une rivière et qui est partiellement isolée de la mer par une longue bande de terre sablonneuse. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, il s’agit bel et bien d’une formation naturelle. Les marins l’utilisent pour abriter leurs petites embarcations. […]
On a depuis longtemps émis diverses hypothèses quant à l’origine de ce terme. La thèse populaire la plus connue est un rapprochement avec barre à choir; la barre en question étant la longue bande de sable, et le verbe choir serait motivé par le fait qu’à marée basse, on peut y laisser choir son bateau. Mais c’est là sans doute un cas de ce qu’on appelle une étymologie populaire, qui naît du désir bien légitime et profondément humain de savoir d’où viennent les choses, y compris les mots. On tente alors des rapprochements qui parfois, dans ce cas-ci, font sens. Geneviève Joncas, dans un numéro de la revue Québec français, livre le résultat de ses recherches approfondies sur le sujet. L’hypothèse qui semble de loin la plus solide, la plus scientifique, est celle qu’a émise Patrice Brasseur (directeur du Centre d’études canadiennes d’Avignon), selon laquelle barachois serait une réfection du mot basque barratxoa (qui se prononce baratchoa) et qui signifie “petite barre”. G. Joncas nous apprendre en outre qu’une linguiste basque relève le mot barrachoa dès 1689 sur une carte de Terre-Neuve dressée par son compatriote Piarres Detcheverry. On connaît déjà la présence ancienne des Basques sur nos côtes. Il est normal qu’ils y aient laissé leurs empreintes linguistiques, et celle-ci n’est pas la seule2. »
BIBLIOGRAPHIE
1 Mario Mimeault, « Édouard Lacroix, un Beauceron gaspésien », Encyclopédie, Encyclobec, (2002), http://encyclobec.ca/region_projet.php?projetid=355.
2 Commission de toponymie et Office québécois de la langue française, Parlers et paysages du Québec : randonnée à travers les mots d’ici (Québec : Publications du Québec, 2012), 86.
Autres sources consultées :
— Pascal Alain, Carleton-sur-Mer : un regard sur le passé, coll. « 100 ans noir sur blanc 49 » (Québec : Les Éditions GID, 2017).
— Michel Landry et Laval Lavoie, Histoire de Carleton : Tracadièche, 1766-1996 (Saint-Laurent : Septentrion, 1997).
IMAGES
1. Marie-Claude De Souza, 2017. Vestige découvert au sud de la ligne.
2. Collection Musée de la Gaspésie, Fonds Charles-Eugène Bernard. P67_B_1a_4_11. Charles-Eugène Bernard. Tel que cité sur le site internet du musée : « [ca 1950-1965]. – Photographie aérienne représentant l’usine de transformation Bois Lacroix Ltée de Carleton. Edouard Lacroix, de St-Georges-de-Beauce, a fondé la Madawaska Corporation en 1921. Son frère Charles, et ensuite son fils André, dirigeront les opérations de l’usine de Carleton. »
3. Ibid., nous surlignons le tracé du chemin de fer privé.
4. Écomusée Tracadièche. P3S1P2.
5. Écomusée Tracadièche. AP_270_2. Tel que cité sur le site internet de la municipalité : « Le barachois de Carleton était, à l’époque du moulin Lacroix, utilisé pour faire de la drave, dans les années 1930. »
6. Écomusée Tracadièche. AP_269_2. Moulin à Lacroix.
7. Marie-Claude De Souza, 2017. Vue du sud de la ligne.