David Blanchard défie les stéréotypes. Avec sa volubilité et sa propension à la taquinerie, personne ne saurait déceler au premier regard qu’il a traversé plusieurs épisodes d’itinérance. Même si son agenda déborde à force d’engagements sociaux, il a accepté de revivre avec moi sa run de lait, c’est-à-dire la trajectoire quotidienne qu’il avait adoptée lorsqu’il connaissait la rue.
Il n’était pas le seul à utiliser cette expression, détournée avec esprit, pour décrire sa routine. Était-ce une manière codée de se comprendre, au sein d’une apparente fraternité, ou encore un moyen de donner un sens à chacun de ses pas? « Les parcours se ressemblent plus ou moins, mais dépendent toujours de l’humeur ou de la façon dont on s’oriente. On ne se rend pas toujours d’un endroit à l’autre de la même façon. Les chemins se recoupent quand même d’un jour à l’autre, mais parfois on rencontre quelqu’un, on dévie un petit peu, on s’arrête dans un parc, mais on se rend toujours au même point de toute façon. »
« Tu cherches quoi faire le jour. Tu quêtes ou tu vas manger ou tu vas te promener, mais il n’y a pas beaucoup de choix… Donc tu choisis ce qui te plaît le plus ou tu varies un peu… Quêter… Manger, r’tourner… C’est toujours le même cercle. »
La Run-de-Lait se situe à la frontière de la géographie, de la temporalité et de l’imaginaire, empruntant à un métier révolu. Elle lie le passé au désir présent en valorisant une époque où l’autre était attendu au pas de la porte. Elle incarne une appartenance tiraillée, s’affiliant à la fois au rêve et à la réalité : entre cet état d’esprit que l’on connaît trop bien et un autre auquel on aspire, consciemment ou non. Elle illustre une capacité à se projeter et elle s’apparente au lieu-dit, ni tout à fait reconnue ni tout à fait invisible.
« Tous les refuges que tu peux fréquenter, ils ont tous des ressources pour t’aider à aller plus loin, mais il faut que tu sois prêt. Moi, ça m’a pris deux trois fois1. »
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NOTES
1 David Blanchard, entrevue, propos recueillis par l’artiste, 2016.
IMAGES
1. David dans l’escalier où il s’asseyait pour tuer le temps. Il y était toléré et avait développé un lien ténu avec le personnel de l’établissement. Jamais il ne sollicitait les passants directement, mais il lui arrivait de mettre une casquette au sol.
Photographies subséquentes prises sur notre chemin.